samedi 24 mai 2014


Sans oublier ... 
Mais oublier quoi ? La beauté de ce roman ? La dureté de ce roman ? La douceur de ce roman ? La tristesse de ce roman ? La joie de ce roman ? Ou bien simplement ne pas oublier le roman dans son entière globalité. Ne rien oublier, ne rien laisser partir de ce moment d'évasion au pays de la réalité ... 

Je vous l'avais dit en publiant un extrait, ce roman est sublime, mais tragique. (L'un n'empêche pas l'autre me direz-vous !) Une jeune femme (on ne connaît point son nom, comme si l'auteure avait voulu la transformer en Mme Tout le Monde, comme si elle représentait toutes les femmes qui peuvent toutes vivre ça un jour) perd sa mère au début dans un crash d'avion. Sa mère. Sa Référence. La femme qui comptait le plus au monde pour elle (pour de bonnes raisons ?). Alors, son monde s'écroule. Elle se perd, et entraîne les siens dans sa chute. Son père est un fantôme, son mari, l'Homme comme il est nommé, se bat pour tenter de la ramener à la surface, de sauver de la noyade celle qu'il aime et à qui il a offert deux enfants. Claire et Simon, innocents et rafraichissants de jeunesse, ne comprennent pas, ne s'en rendent pas compte, pas vraiment. Chaque jour, leur innocence est un coup de poignard dans le cœur de leur mère, inconsciemment ou pas. Ce roman, c'est l'histoire d'une famille, marquée par le deuil. C'est le récit d'une femme, qui veut s'en sortir mais qui n'y arrive plus. Ce roman, c'est une vie. Qui pourrait bien un jour être la nôtre ...

La jeune femme, donc, s'effondre subitement. Elle coule, s'enfonce dans les abîmes de l'esprit humain, dans un brouillard toujours plus compact, toujours plus dense. Il faut qu'elle se libère, qu'elle se retrouve. Qu'elle cesse de s'accrocher à ses souvenirs, à cette mère qu'elle a toujours voulu contenter, la seule dont l'avis comptait vraiment. "Sans oublier raconte comment, pour devenir mère, il faut d'abord cesser d'être une fille." nous dit la quatrième de couverture. Quelle vérité, quelle implacable vérité démontrée imperceptiblement dans un roman percutant comme celui-ci. Un chef d’œuvre dans la composition, mais aussi dans la psychologie. On plonge réellement dans l'esprit de cette femme, perdue, égarée dans sa propre vie. Elle étouffe. Il faut qu'elle se retrouve, qu'elle fuit cette vie qui chaque jour la tue un peu plus pour pouvoir à nouveau respirer et redevenir celle qu'elle a envie d'être pour ses enfants, pour son mari ... Mais comment ? Comment s'en sortir ? Sans oublier, c'est l'histoire d'une femme brisée, qui doit recoller les morceaux de sa vie, de son existence. Et pas seulement les morceaux du présent ...
L'Homme, son mari, lutte a ses côtés, dans un demi-silence. Il s'occupe des enfants, de son boulot, de sa femme, de son beau-père ... Il est la preuve éclatante que lorsqu'un maillon de la famille souffre, c'est une famille qui souffre. Qu'une déchéance en entraîne une autre. Il est aussi un combattant, un soutien permanent pour une femme qu'il ne reconnaît plus, qu'il aime mais qu'il cherche, désespérément, à travers un orage de pleurs, de cris, de silences. 

Il y a réellement deux parties dans ce roman. Toute cette partie de déchéance à Paris, mais aussi la fuite. Le retour aux sources, physiques et morales. Le besoin d'une femme de ne plus se sentir fille ou mère mais femme, pleine et entière. D'être seule, pour mieux se reconstruire. De se sentir désirée, utile, curieuse. De ne plus être manipulée comme un verre de cristal que l'on cherche à préserver mais de pouvoir à nouveau s'aiguiser contre la vie, la plus simple qui soit. Et découvrir enfin une vérité trop longtemps masquée ... Et de redécouvrir les personnes qu'elle croyait connaître ...

Je voudrais vous parler d'un personnage en particulier. Non pas de cette jeune femme dont nous infiltrons l'esprit, ni de l'Homme et de sa carapace nécessaire pour affronter le quotidien, ni de Simon ce bout de chou innocent, ni même de Claire elle aussi perdue devant une mère qui s'égare. Non je voudrais vous parler de Jeanne. Cette vieille dame au cœur exceptionnel, qui tout au long de sa vie, a sauvé de nombreuses vies. Cette femme qui va accepter notre héroïne et tenter de la guérir, entre Histoire et morales. Histoire, avec un grand H. L'Histoire de France, l'histoire de la mère morte, que Jeanne connaissait bien mieux que sa propre fille. Et des morales oui. Mais pas des critiques. Non de simples mots, décocher ça et là, des flèches qui viennent ouvrir le cœur de l'héroïne pour lui révéler sa propre vérité, des mots qui comme du baume viennent soigner une fille, pour en faire une femme, qui elle-même, arrivera à redevenir mère, peut-être ... Si elle ne s'égare pas trop longuement dans les bras d'un autre ...

Ce roman est aussi un ode à l'écriture, de façon très implicite. L'écriture, l'arme la plus libératrice, le moyen le plus efficace de se délester de tous nos malheurs, de tous nos problèmes. De se débarrasser enfin de tout ce qu'on ne peut crier à voix haute, de tout ce qu'on ne peut dire. Écrire, c'est parler en silence. Se confesser au papier plutôt qu'au prêtre. Se laisser guider par une plume plutôt que par une croyance. Écrire, c'est hurler silencieusement des sentiments encombrants.

Mais ce roman, c'est aussi une auteure. Ariane Bois. Que j'ai découverte avec ce livre, et que j'ai envie de suivre, de lire encore et encore. Pour sa plume exceptionnelle, qui nous laisse une trace indélébile. Un goût amer, sucré. La Mort et la Vie. Vraiment opposées ? Pas pour Ariane Bois, dont l'écriture nous fait trembler, mourir, revivre, pleurer, rire et réfléchir. Elle nous vide de toute émotion, nous purge, nous épuise. Finir Sans oublier, ce n'est pas finir une lecture. C'est ouvrir la porte à des questions, des réflexions. Finir ce roman, c'est ne pas pouvoir l'oublier. Une fois ma lecture achevée, j'ai vraiment mis quelques temps pour m'en remettre, pour repasser à nouveau cette histoire dans ma tête, à chercher le pourquoi du comment. A tourner et retourner les actes des personnages. A me chercher à travers une lecture qui m'a profondément marqué.

Sans oublier ... Un roman qui, entre la mort et la vie, nous réapprend à aimer, à pardonner, à nous rechercher, à vivre.  

La quatrième de couverture se termine ainsi : "Une écriture intense qui réconcilie de façon saisissante la noirceur du deuil et la rage de vivre." Je n'aurais pas dit mieux.

Théo

                                                                                    
 

 

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