mercredi 6 août 2014


Quand on conjugue Brésil au futur, ça donne Palmares Três. Dans cette cité-état, exclusivement dirigée par des femmes et gouvernée par une reine, un roi est élu tous les 5 ans par le peuple pour un an : c'est le Roi d'été. Une fois c'est un roi lunaire, c'est à dire qu'il n'a strictement aucun pouvoir politique, l'autre fois un roi solaire avec un pouvoir important. Car les rois solaires ont le seul et unique pouvoir de choisir la nouvelle reine lors la cérémonie de leur sacrifice. Un choix sanctifié par le sang. Les rois lunaires en désignent une aussi, mais il n'y a sur l'estrade au moment de leur sacrifice que la reine actuellement au pouvoir. Enki vient fraîchement d'être élu Roi d'été, et c'est un roi lunaire. Aucun pouvoir politique et un sacrifice inévitable. June Costa est une jeune fille de la ville. Elle voit en Enki autre chose que le beau gosse dont tout le monde parle et le danseur fantastique de samba. Elle voit en lui ce qui la fait vibrer elle aussi : l'Art. Ensemble, unis pour l'Art, ils vont réaliser un projet hors du commun pour faire jaillir dans la ville l'Art sous sa forme la plus pure. 

C'est une histoire vraiment originale, jamais vue dans le genre de l'anticipation. Et qui donne à l'Art, avec un grand A, une place de choix. L'Art et l'Amour. L'Amour de l'Art. L'Art de l'Amour. On peut le dire, ce roman présente plusieurs facettes : hymne à l'art, réflexions sur les régimes autoritaires et injustes, engagement sur certains sujets actuels et bien sûr, fiction envoûtante.

Commençons par ce dernier point. Le prince d'été est totalement captivant. L'auteure arrive à nous cueillir dès les premiers mots pour nous faire traverser l'Atlantique et le temps et nous emmener loin, très loin, sur les côtes d'un Brésil du futur. Au milieu de la Samba ravageuse, du niveau 10 de la ville, le plus riche, au verde, le quartier pauvre et défavorisé d'où vient Enki, on virevolte dans les ruelles, on rencontre des gens, à travers le regard de June. La ville se déroule sous nos yeux ébahis, immense et sublime, injuste et choquante. On s'accroche aux personnages, on les aime dès qu'on les rencontre. Gil, le meilleur ami de June, son confident, ce garçon sensible, aimant, droit, juste, et unique. L'ami qu'on aimerait tous avoir, celui à qui l'on peut tout dire sans gêne ni honte. Il y a aussi Enki, le beau et intelligent Enki, Enki le roi. Le garçon qui danse la samba comme un dieu mais qui comprend les gens et la Ville mieux que personne. Il y a d'autres personnages bien sûr, mais celle que l'on arrive pas vraiment à cerner, c'est June. Enfin, ce n'est pas qu'on arrive pas à la cerner, c'est plutôt qu'on arrive pas à savoir si on l'apprécie ou pas. Pendant la lecture on la suit, et parfois on l'aime, et en même temps, elle m'a parfois agacé. Dans sa façon d'être, parfois un peu superficielle. Mais finalement, son combat est juste, et elle laisse un bon souvenir.

Ce roman est donc une excellente fiction, mais aussi un roman pour faire passer quelques idées très intéressantes. Tout d'abord, la première chose qui frappe parce que ça n'a encore jamais été vu en littérature, c'est le rapport à l'homosexualité. A Palmares Três, les relations entre hommes ou entre femmes sont aussi normales que les relations entre hommes et femmes. Et j'ai envie de dire : enfin ! Les homosexuel(le)s ne sont enfin plus mis à l'écart, et ça fait du bien. Ils n'ont pas à se cacher, ne sont pas maltraités par leurs parents, ni regardés comme des personnes différentes, même s'il n'y a rien de méchant parfois dans ces regards. Et c'est une première en littérature : l'homosexualité est totalement banalisée. Ca change et ca fait du bien. Ensuite, l'auteure nous met en garde contre la technologie. Oui, elle peut être utile, et il ne faut pas s'en couper totalement, mais attention, trop l'utiliser, la pousser à son paroxysme, c'est vraiment dangereux. Il faut donc trouver un juste milieu entre la technologie et l'humain. Enfin, Alaya Dawn Johnson met en place un système particulièrement intéressant. Cette ville est dirigée par les femmes, mais les reines sont choisies par le Roi d'été lors de son sacrifice, ce dernier sanctifiant ce choix. Cette monarchie constitutionnelle est aussi basée sur l'inégalité entre les riches et les plus pauvres. Un peu comme dans tous les livres d'anticipation … Non, là l'originalité tient vraiment à cette place de la femme, dominante et omniprésente. Et finalement, hommes ou femmes, le sexe n'a rien à voir avec les injustices causées. C'est toujours la soif de pouvoir qui prime. Le seul problème avec ce système, pour moi, c'est qui n'est pas assez approfondi. J'aurais aimé en savoir plus sur le fonctionnement politique de la cité, sur les rouages, les manigances des dirigeantes, et surtout j'aurais voulu en apprendre plus sur les origines de tout ceci. Il aurait fallu, selon moi, fallu développer un peu plus autour de ce système politique, parce qu'il y avait matière à développer.

Et je finirai par ce point : ce roman est une véritable symphonie dédiée à l'Art. Il est placé au centre de l'histoire, de l'intrigue, il est le centre d'intérêt principal des deux héros. Il est promu, mis en avant. L'art quel qu'il soit d'ailleurs : peinture, musique, sculpture, jeux de lumière … Finalement, l'un des seuls qui manquent, c'est la littérature. Mais en même temps, le papier n'existe plus, tout est numérique. L'art est exposé à la vue de tous dans la ville. Le véritable Art, qu'il soit fait par engagement ou simplement pour la beauté de l'œuvre, ou bien pour les deux. Et cette symphonie est portée par la plume d'Alaya Dawn, claire, calme et épurée. Sans fioritures ou effets de style inutiles, l'auteure nous porte avec douceur et engagement vers les lumières scintillantes de Palmares Três.

En bref, Le prince d'été est un beau roman, intéressant et prenant, porté par l'écriture calme et simple d'Alaya Dawn Johnson. 
A découvrir !
Théo

1 commentaires:

  1. Je l'ai lu début 2014 mais j'ai été déçue... Je n'ai pas tout compris et j'ai trouvé que l'art prennait beaucoup trop de place comparé à l'action, ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais! :(

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Salut !!
Merci de laisser une trace de votre passage, avec politesse, cela va de soi !!
Amicalement
Théo