mardi 30 décembre 2014

 Il existe des romans qui sonnent juste. Dans leur histoire, leur écriture. Dans le traitement de leurs thèmes. Il existe des romans qui, de par leur implacable justesse et leur cruelle vérité,  font, sans trop de raisons, ou en tout cas pas apparentes, venir les larmes, même au beau milieu du trajet Bordeaux-Paris qui vous propulse directement vers le Saint Graal du lecteur : le salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. Les géants est l'un d'eux. Avec un style cash, clair et sans fioritures, Benoît Minville déroule sous nos yeux une histoire qui semble vraie, et développe avec une forme de pudeur à peine masquée une amitié forte, puissante et éternelle. 

Deux familles unies, presque un clan, qui se soutiennent depuis longtemps. Il y a les deux pères, Auguste et Henriko. Et puis il y a les fils, Esteban et Marius. Unis par cette solide liaison interfamiliale, mais surtout par une infaillible, grande et unique amitié et par l'océan. Car si deux jeunes hommes de 17 ans sont amis depuis si longtemps c'est qu'ils partagent ensemble une passion qui les anime : le surf. Apprivoiser le grand bleu et ses vagues, s'en servir pour se vider, de sa rage, de hargne, de sa tristesse. Le surf comme une thérapie, plus qu'un sport, pour se libérer. Et laisser l'océan et ses inlassables remous laver leurs esprits et fatiguer leurs corps. Chaque partie de surf est pour les deux héros un bonheur simple et pur : partager ensemble l'apaisement et la libération qu'offre l'immensité de cet océan Atlantique qui lèche les côtes d'un pays basque dont l'auteur décrit, sans en faire trop, la beauté intemporelle (avis que, soi dit en passant vu que j'ai de la famille par là-bas, je partage complètement). Ces deux familles ne roulent pas sur l'or, loin de là puisque Ban et sa famille vivent dans un mobil-home sur un terrain de camping, alors que Marius, sa sœur Alma et ses parents, Auguste et Enora, ont la chance de vivre dans une petite maison. Dans les rires comme dans les pleurs, ils se soutiennent, se serrent les coudes contres les coups bas de la vie. Et arrivent finalement à vivre plutôt heureux. Sauf qu'un jour, César, le grand-père de Marius, dont ses parents ne lui avaient jamais parlé, revient. Et il amène avec lui de lourds secrets familiaux.

A partir de là, la machine est lancée. Et le lecteur n'en finit pas d'être surpris. Agréablement ou pas. Plus l'histoire avance, et plus le casier judiciaire de César s'épaissit, alors que le père de Marius, quant à lui, devient l'ombre de lui-même, figure pâle d'un père dont le discours se résume de plus en plus à un "faites ce que je dis mais que ce que je fais, parce que moi j'ai pas le choix alors que vous si alors écoutez moi sans prendre exemple les enfants". On remue dans les tréfonds de cette histoire comme on plonge dans l'océan : on retient son souffle, on s'élance et on y va à l'aveugle. On tient aussi longtemps qu'on peut, on ressort, on respire et on y retourne, parce qu'en fait, on adore ça. Et à côté de ça, il y aussi de belles découvertes : l'amitié, l'amour, et les belles étapes de la vie. 

N'allez pas me demander précisément ce qui m'a fait venir les larmes, car je n'en ai absolument aucune idée. Je n'étais pas plus triste que ça, mais ce roman a su me toucher au plus profond. En quelques mots, il a outrepassé les digues que j'ai mis tant de temps à ériger. Depuis ce jour, je sonde chaque parcelle de ces murailles pour retrouver le chemin que ces phrases ont emprunté. Peut-être est-ce la force de cette amitié qui m'a touchée ? Oui sûrement que ça a joué, car moi aussi j'essaie de construire des amitiés aussi fortes, dans lesquelles on peut chaque jour où ça va mal puiser des forces, tirer du positif. Pierre par pierre, je construis des choses que ce roman m'a présenté. Un pas vers mes rêves … Et puis il y aussi un lien avec l'écriture, incisive. Elle découpe, taillade, fouette, cingle et nous bouleverse. Elle nous donne envie de partir, voyager, s'évader et tout plaquer. Ou alors ce sont les personnages, avec lesquels je partage des valeurs, des qualités autant que des défauts. C'est sûrement un mélange de tout ça, et probablement d'autre chose, qui a fait de ce roman un coup de cœur, une libération autant qu'un plaisir pur, simple et si délicieux.

Cette solide amitié est un lien infaillible entre ces deux héros au cœur pur. D'un côté Marius, en quête de liberté, révolté et impulsif, cet adolescent finalement un peu perdu voit ses certitudes s'écrouler et son monde se liquéfier. Déçu par son père, en colère contre sa famille, trahi par son pote, dérouté par sa sœur qui a tant grandi et fasciné autant que déconcerté par ce grand-père dont il ignorait jusqu'à l'existence. De l'autre, il y a Esteban, dit Ban. Sa vie n'est pas simple : il vit dans un petit mobil-home avec son petit frère trisomique, sa mère toujours sur les nerfs et complètement excédée par cette vie, et son père, renfermé et alcoolique. Malgré ça, il semble heureux. Réfléchi, calme et protecteur, il est intelligent et très protecteur, surtout avec ce petit frère que même son père n'accepte pas. L'amitié lui maintient la tête hors de l'eau, alors que l'amour lui donne des ailes. Oui mais voilà, cet amour inconditionnel pour une jeune fille risque de mettre en péril son amitié … Car ce lien si solide va, au fil des pages, être plusieurs fois mis à l'épreuve par les mensonges et les secrets. Il sera aussi renforcé, nourri, attisé par les aventures vécues, par les épreuves traversées et par des séances de surf définitivement salvatrices.

La force de ce roman réside aussi dans la pluralité des thèmes traités. Si l'auteur fait de l'amitié un fil conducteur, il évoque aussi avec la même justesse d'autres sujets tout aussi importants. Le premier qui me vient à l'esprit est celui qui s'incarne dans le personnage de Bartolo, petit frère d'Esteban. Trisomique, il est complètement délaissé par un père qui n'accepte pas que "ça" ait pu arriver dans sa famille. Ses parents le laissent se cacher derrière sa DS, qu'ils se représentent comme une protection face à la maladie de leur fils. Au milieu de ça, Bart trouve en Ban, qu'il ne se lasse d'admirer durant ses longues séances de surf. Et Esteban est avec lui le grand frère idéal. Il le protège du monde extérieur en lui en ouvrant lentement les portes, il s'adore en grand frère affectif et nous on craque pour ce jeune homme qui est là pour aider ce frère perdu. Mais Esteban s'illustre aussi par sa révolte envers son père, Henriko. Il le méprise pour son comportement lâche envers ce second fils, un peu différent, mais tellement attachant. Et surtout, il déteste son père pour ce qu'il ne fait pas : être attentionné, s'occuper de Bart, l'aimer. A travers ce personnage, Benoît Minville démontre que l'acceptation des différences des autres commence à l'intérieur du cercle familial, et que le monde extérieur n'a pas le monopole de l'hostilité. L'auteur nous parle aussi un peu de l'homosexualité, et des rumeurs. Il évoque  la drogue et ses ravages, la famille et ses secrets qui peuvent vous détruire, la dure réalité du milieu ouvrier et des familles de pêcheurs et enfin, il nous parle de l'adolescence. Thème souvent traité, mais rarement avec autant de vérité, il parle de l'amour comme de la mort, et de toutes nos émotions à cette période-là, où tout est exacerbé, amplifié. Il évoque ces amours que l'on sait éternels, et ceux que l'on accepte pour être avec quelqu'un. Il évoque le sentiment de solitude de cette période autant que la force et la puissance des amis. Et il nous parle aussi de ce que c'est que devenir adulte. Et finalement c'est peut-être ça qui m'a touché … Ces vérités claires et simples sur l'adolescence qui ont résonné en moi jusque dans la plus petite cellule de mon corps.

Finalement, on peut rapprocher Les géants, du premier roman de l'auteur, Je suis sa fille. Dans chacun d'eux, les héros, des adolescents, sont en quête de liberté. Ils luttent contre des forces que l'on peut penser supérieures, le passé ici et le système dans Je suis sa fille. Dans les deux romans, les protagonistes s'en sortent grâce à leurs amis et leur jeunesse, force qui leur permet les choses les plus folles. Et dans chacun de ces deux romans, l'auteur, avec son style si caractéristique, direct, simple et si accrocheur, nous livre une magnifique quête vers la vérité et la liberté, et crie au monde ses vérités les plus crues. 

Pour conclure, ce roman est bel et bien l'un des meilleurs de l'année 2014. Il délivre, à l'aide d'un style sans précédent, une puissante quête vers la vérité, la liberté et l'âge adulte. Benoît Minville émeut le lecteur autant qu'il le brusque, alternant vérités cinglantes et claquantes et moments de partage entre deux ados liés par la famille, l'océan et une touchante et profonde amitié.

Regarde, petit frère : c'est chez toi, ici. Regarde, petit frère. Notre étoile est là-haut, on est peut-être pas nés sous la plus brillante, mais on apprendra ensemble. A devenir.

Comme à chaque fois, Bartolo imagina une musique tonitruante lorsque les deux inséparables se dressèrent face à l'eau. Une bande-annonce pour ce combat à venir entre eux et ces flux et reflux inquiétants.

Beau début camarade; Estéban admirait la technique ; son truc à Marius  c'était "l'Aerial", le flirt avec les hauteurs. Si une vague avait pu lui faire toucher le soleil, il l'aurait tentée ! La suivante fut brillante, grondante, pleine d'écume, et il s'en empara pour une figure ... et reste stable à la redescente. Il souffla. Échange de regards ; passation consentie.  
Théo

3 commentaires:

  1. J'ai trop aimé ce livre mais peux-tu faire une liste des personnages?

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  2. Ta chronique n'a rien à envier à la mienne, mon Théo. Ton émotion qui surgit comme un écume à fleur de mots, c'est sensible et touchant ♥

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Salut !!
Merci de laisser une trace de votre passage, avec politesse, cela va de soi !!
Amicalement
Théo