Quand on conjugue Brésil au futur, ça donne Palmares Três. Dans cette cité-état, exclusivement dirigée par des femmes et gouvernée par une reine, un roi est élu tous les 5 ans par le peuple pour un an : c'est le Roi d'été. Une fois c'est un roi lunaire, c'est à dire qu'il n'a strictement aucun pouvoir politique, l'autre fois un roi solaire avec un pouvoir important. Car les rois solaires ont le seul et unique pouvoir de choisir la nouvelle reine lors la cérémonie de leur sacrifice. Un choix sanctifié par le sang.
Les rois lunaires en désignent une aussi, mais il n'y a sur l'estrade au moment
de leur sacrifice que la reine actuellement au pouvoir. Enki vient fraîchement
d'être élu Roi d'été, et c'est un roi lunaire. Aucun pouvoir politique et un
sacrifice inévitable. June Costa est une jeune fille de la ville. Elle voit en
Enki autre chose que le beau gosse dont tout le monde parle et le danseur
fantastique de samba. Elle voit en lui ce qui la fait vibrer elle aussi :
l'Art. Ensemble, unis pour l'Art, ils vont réaliser un projet hors du commun
pour faire jaillir dans la ville l'Art sous sa forme la plus pure.
C'est une histoire vraiment
originale, jamais vue dans le genre de l'anticipation. Et qui donne à l'Art,
avec un grand A, une place de choix. L'Art
et l'Amour. L'Amour de l'Art. L'Art de l'Amour. On peut le dire, ce roman
présente plusieurs facettes : hymne à l'art, réflexions sur les régimes
autoritaires et injustes, engagement sur certains sujets actuels et bien sûr,
fiction envoûtante.
Commençons par ce dernier point. Le prince d'été est totalement
captivant. L'auteure arrive à nous cueillir dès les premiers mots pour nous faire traverser
l'Atlantique et le temps et nous emmener loin, très loin, sur les côtes d'un
Brésil du futur. Au milieu de la Samba ravageuse, du niveau 10 de la ville, le
plus riche, au verde, le quartier
pauvre et défavorisé d'où vient Enki, on virevolte dans les ruelles, on
rencontre des gens, à travers le regard de June. La ville se déroule sous nos
yeux ébahis, immense et sublime, injuste et choquante. On s'accroche aux
personnages, on les aime dès qu'on les rencontre. Gil, le meilleur ami de June,
son confident, ce garçon sensible, aimant, droit, juste, et unique. L'ami qu'on
aimerait tous avoir, celui à qui l'on peut tout dire sans gêne ni honte. Il y a
aussi Enki, le beau et intelligent Enki, Enki le roi. Le garçon qui danse la
samba comme un dieu mais qui comprend les gens et la Ville mieux que personne. Il
y a d'autres personnages bien sûr, mais celle que l'on arrive pas vraiment à
cerner, c'est June. Enfin, ce n'est pas qu'on arrive pas à la cerner, c'est
plutôt qu'on arrive pas à savoir si on l'apprécie ou pas. Pendant la lecture on
la suit, et parfois on l'aime, et en même temps, elle m'a parfois agacé. Dans
sa façon d'être, parfois un peu superficielle. Mais finalement, son combat est
juste, et elle laisse un bon souvenir.
Ce roman est donc une excellente
fiction, mais aussi un roman pour faire passer quelques idées très
intéressantes. Tout d'abord, la première chose qui frappe parce que ça n'a
encore jamais été vu en littérature, c'est le rapport à l'homosexualité. A
Palmares Três, les relations entre hommes ou entre femmes sont aussi normales
que les relations entre hommes et femmes. Et j'ai envie de dire : enfin ! Les
homosexuel(le)s ne sont enfin plus mis à l'écart, et ça fait du bien. Ils n'ont
pas à se cacher, ne sont pas maltraités par leurs parents, ni regardés comme
des personnes différentes, même s'il n'y a rien de méchant parfois dans ces
regards. Et c'est une première en littérature : l'homosexualité est totalement
banalisée. Ca change et ca fait du bien. Ensuite, l'auteure nous met en garde
contre la technologie. Oui, elle peut être utile, et il ne faut pas s'en couper
totalement, mais attention, trop l'utiliser, la pousser à son paroxysme, c'est
vraiment dangereux. Il faut donc trouver un juste milieu entre la technologie
et l'humain. Enfin, Alaya Dawn Johnson met en place un système particulièrement
intéressant. Cette ville est dirigée par les femmes, mais les reines sont
choisies par le Roi d'été lors de son sacrifice, ce dernier sanctifiant ce
choix. Cette monarchie constitutionnelle est aussi basée sur l'inégalité entre
les riches et les plus pauvres. Un peu comme dans tous les livres
d'anticipation … Non, là l'originalité tient vraiment à cette place de la
femme, dominante et omniprésente. Et finalement, hommes ou femmes, le sexe n'a
rien à voir avec les injustices causées. C'est toujours la soif de pouvoir qui
prime. Le seul problème avec ce système, pour moi, c'est qui n'est pas assez
approfondi. J'aurais aimé en savoir plus sur le fonctionnement politique de la
cité, sur les rouages, les manigances des dirigeantes, et surtout j'aurais voulu
en apprendre plus sur les origines de tout ceci. Il aurait fallu, selon moi,
fallu développer un peu plus autour de ce système politique, parce qu'il y
avait matière à développer.
Et je finirai par ce point : ce
roman est une véritable symphonie dédiée à l'Art. Il est placé au centre de
l'histoire, de l'intrigue, il est le centre d'intérêt principal des deux héros.
Il est promu, mis en avant. L'art quel qu'il soit d'ailleurs : peinture,
musique, sculpture, jeux de lumière … Finalement, l'un des seuls qui manquent,
c'est la littérature. Mais en même temps, le papier n'existe plus, tout est
numérique. L'art est exposé à la vue de tous dans la ville. Le véritable Art,
qu'il soit fait par engagement ou simplement pour la beauté de l'œuvre, ou bien
pour les deux. Et cette symphonie est portée par la plume d'Alaya Dawn, claire,
calme et épurée. Sans fioritures ou effets de style inutiles, l'auteure nous
porte avec douceur et engagement vers les lumières scintillantes de Palmares
Três.
En bref, Le prince d'été est un beau roman, intéressant et prenant, porté
par l'écriture calme et simple d'Alaya Dawn Johnson.
A découvrir !
Théo
Je l'ai lu début 2014 mais j'ai été déçue... Je n'ai pas tout compris et j'ai trouvé que l'art prennait beaucoup trop de place comparé à l'action, ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais! :(
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