Il existe des romans qui sonnent
juste. Dans leur histoire, leur écriture. Dans le traitement de leurs thèmes.
Il existe des romans qui, de par leur implacable justesse et leur cruelle
vérité, font, sans trop de raisons, ou
en tout cas pas apparentes, venir les larmes, même au beau milieu du trajet
Bordeaux-Paris qui vous propulse directement vers le Saint Graal du lecteur :
le salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. Les géants est l'un d'eux. Avec un style cash, clair et sans
fioritures, Benoît Minville déroule sous nos yeux une histoire qui semble
vraie, et développe avec une forme de pudeur à peine masquée une amitié forte,
puissante et éternelle.
Deux familles unies, presque un
clan, qui se soutiennent depuis longtemps. Il y a les deux pères, Auguste et Henriko.
Et puis il y a les fils, Esteban et Marius. Unis par cette solide liaison
interfamiliale, mais surtout par une infaillible, grande et unique amitié et
par l'océan. Car si deux jeunes hommes de 17 ans sont amis depuis si longtemps
c'est qu'ils partagent ensemble une passion qui les anime : le surf.
Apprivoiser le grand bleu et ses vagues, s'en servir pour se vider, de sa rage,
de hargne, de sa tristesse. Le surf comme une thérapie, plus qu'un sport,
pour se libérer. Et laisser l'océan et ses inlassables remous laver leurs
esprits et fatiguer leurs corps. Chaque partie de surf est pour les deux héros
un bonheur simple et pur : partager ensemble l'apaisement et la libération
qu'offre l'immensité de cet océan Atlantique qui lèche les côtes d'un pays
basque dont l'auteur décrit, sans en faire trop, la beauté intemporelle (avis
que, soi dit en passant vu que j'ai de la famille par là-bas, je partage
complètement). Ces deux familles ne roulent pas sur l'or, loin de là puisque
Ban et sa famille vivent dans un mobil-home sur un terrain de camping, alors
que Marius, sa sœur Alma et ses parents, Auguste et Enora, ont la chance de
vivre dans une petite maison. Dans les rires comme dans les pleurs, ils se
soutiennent, se serrent les coudes contres les coups bas de la vie. Et arrivent
finalement à vivre plutôt heureux. Sauf qu'un jour, César, le grand-père de
Marius, dont ses parents ne lui avaient jamais parlé, revient. Et il amène avec
lui de lourds secrets familiaux.
A partir de là, la machine est
lancée. Et le lecteur n'en finit pas d'être surpris. Agréablement ou pas. Plus
l'histoire avance, et plus le casier judiciaire de César s'épaissit, alors que
le père de Marius, quant à lui, devient l'ombre de lui-même, figure pâle d'un
père dont le discours se résume de plus en plus à un "faites ce que je dis
mais que ce que je fais, parce que moi j'ai pas le choix alors que vous si
alors écoutez moi sans prendre exemple les enfants". On remue dans les
tréfonds de cette histoire comme on plonge dans l'océan : on retient son
souffle, on s'élance et on y va à l'aveugle. On tient aussi longtemps qu'on
peut, on ressort, on respire et on y retourne, parce qu'en fait, on adore ça.
Et à côté de ça, il y aussi de belles découvertes : l'amitié, l'amour, et les
belles étapes de la vie.
N'allez pas me demander
précisément ce qui m'a fait venir les larmes, car je n'en ai absolument aucune
idée. Je n'étais pas plus triste que ça, mais ce roman a su me toucher au plus
profond. En quelques mots, il a outrepassé les digues que j'ai mis tant de
temps à ériger. Depuis ce jour, je sonde chaque parcelle de ces murailles pour
retrouver le chemin que ces phrases ont emprunté. Peut-être est-ce la force de
cette amitié qui m'a touchée ? Oui sûrement que ça a joué, car moi aussi
j'essaie de construire des amitiés aussi fortes, dans lesquelles on peut chaque
jour où ça va mal puiser des forces, tirer du positif. Pierre par pierre, je
construis des choses que ce roman m'a présenté. Un pas vers mes rêves … Et puis
il y aussi un lien avec l'écriture, incisive. Elle découpe, taillade, fouette,
cingle et nous bouleverse. Elle nous donne envie de partir, voyager, s'évader
et tout plaquer. Ou alors ce sont les personnages, avec lesquels je partage des
valeurs, des qualités autant que des défauts. C'est sûrement un mélange de tout
ça, et probablement d'autre chose, qui a fait de ce roman un coup de cœur, une
libération autant qu'un plaisir pur, simple et si délicieux.
Cette solide amitié est un lien
infaillible entre ces deux héros au cœur pur. D'un côté Marius, en quête de
liberté, révolté et impulsif, cet adolescent finalement un peu perdu voit ses
certitudes s'écrouler et son monde se liquéfier. Déçu par son père, en colère
contre sa famille, trahi par son pote, dérouté par sa sœur qui a tant grandi et
fasciné autant que déconcerté par ce grand-père dont il ignorait jusqu'à
l'existence. De l'autre, il y a Esteban, dit Ban. Sa vie n'est pas simple : il
vit dans un petit mobil-home avec son petit frère trisomique, sa mère toujours
sur les nerfs et complètement excédée par cette vie, et son père, renfermé et
alcoolique. Malgré ça, il semble heureux. Réfléchi, calme et protecteur, il est
intelligent et très protecteur, surtout avec ce petit frère que même son père
n'accepte pas. L'amitié lui maintient la tête hors de l'eau, alors que l'amour
lui donne des ailes. Oui mais voilà, cet amour inconditionnel pour une jeune
fille risque de mettre en péril son amitié … Car ce lien si solide va, au fil
des pages, être plusieurs fois mis à l'épreuve par les mensonges et les
secrets. Il sera aussi renforcé, nourri, attisé par les aventures vécues, par
les épreuves traversées et par des séances de surf définitivement salvatrices.
La force de ce roman réside aussi
dans la pluralité des thèmes traités. Si l'auteur fait de l'amitié un fil
conducteur, il évoque aussi avec la même justesse d'autres sujets tout aussi
importants. Le premier qui me vient à l'esprit est celui qui s'incarne dans le
personnage de Bartolo, petit frère d'Esteban. Trisomique, il est complètement délaissé
par un père qui n'accepte pas que "ça" ait pu arriver dans sa famille.
Ses parents le laissent se cacher derrière sa DS, qu'ils se représentent comme
une protection face à la maladie de leur fils. Au milieu de ça, Bart trouve en
Ban, qu'il ne se lasse d'admirer durant ses longues séances de surf. Et Esteban
est avec lui le grand frère idéal. Il le protège du monde extérieur en lui en
ouvrant lentement les portes, il s'adore en grand frère affectif et nous on
craque pour ce jeune homme qui est là pour aider ce frère perdu. Mais Esteban
s'illustre aussi par sa révolte envers son père, Henriko. Il le méprise pour
son comportement lâche envers ce second fils, un peu différent, mais tellement
attachant. Et surtout, il déteste son père pour ce qu'il ne fait pas : être
attentionné, s'occuper de Bart, l'aimer. A travers ce personnage, Benoît
Minville démontre que l'acceptation des différences des autres commence à
l'intérieur du cercle familial, et que le monde extérieur n'a pas le monopole
de l'hostilité. L'auteur nous parle aussi un peu de l'homosexualité, et des
rumeurs. Il évoque la drogue et ses
ravages, la famille et ses secrets qui peuvent vous détruire, la dure réalité
du milieu ouvrier et des familles de pêcheurs et enfin, il nous parle de
l'adolescence. Thème souvent traité, mais rarement avec autant de vérité, il
parle de l'amour comme de la mort, et de toutes nos émotions à cette
période-là, où tout est exacerbé, amplifié. Il évoque ces amours que l'on sait
éternels, et ceux que l'on accepte pour être avec quelqu'un. Il évoque le
sentiment de solitude de cette période autant que la force et la puissance des
amis. Et il nous parle aussi de ce que c'est que devenir adulte. Et finalement
c'est peut-être ça qui m'a touché … Ces vérités claires et simples sur
l'adolescence qui ont résonné en moi jusque dans la plus petite cellule de mon
corps.
Finalement, on peut rapprocher Les géants, du premier roman de
l'auteur, Je suis sa fille. Dans
chacun d'eux, les héros, des adolescents, sont en quête de liberté. Ils luttent
contre des forces que l'on peut penser supérieures, le passé ici et le système
dans Je suis sa fille. Dans les deux
romans, les protagonistes s'en sortent grâce à leurs amis et leur jeunesse,
force qui leur permet les choses les plus folles. Et dans chacun de ces deux
romans, l'auteur, avec son style si caractéristique, direct, simple et si
accrocheur, nous livre une magnifique quête vers la vérité et la liberté, et
crie au monde ses vérités les plus crues.
Pour conclure, ce roman est bel et bien l'un des
meilleurs de l'année 2014. Il délivre, à l'aide d'un style sans précédent, une
puissante quête vers la vérité, la liberté et l'âge adulte. Benoît Minville
émeut le lecteur autant qu'il le brusque, alternant vérités cinglantes et claquantes
et moments de partage entre deux ados liés par la famille, l'océan et une
touchante et profonde amitié.
Regarde, petit frère : c'est chez toi, ici. Regarde, petit frère. Notre étoile est là-haut, on est peut-être pas nés sous la plus brillante, mais on apprendra ensemble. A devenir.
Comme à chaque fois, Bartolo imagina une musique tonitruante lorsque les deux inséparables se dressèrent face à l'eau. Une bande-annonce pour ce combat à venir entre eux et ces flux et reflux inquiétants.
Beau début camarade; Estéban admirait la technique ; son truc à Marius c'était "l'Aerial", le flirt avec les hauteurs. Si une vague avait pu lui faire toucher le soleil, il l'aurait tentée ! La suivante fut brillante, grondante, pleine d'écume, et il s'en empara pour une figure ... et reste stable à la redescente. Il souffla. Échange de regards ; passation consentie.
Théo
J'ai trop aimé ce livre mais peux-tu faire une liste des personnages?
RépondreSupprimerTa chronique n'a rien à envier à la mienne, mon Théo. Ton émotion qui surgit comme un écume à fleur de mots, c'est sensible et touchant ♥
RépondreSupprimerMerci ♥
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