mercredi 17 février 2016



Indignez-vous, criait Stéphane Hessel en 2012. Ce roman fait écho à ce cri de révolte. Dans le désordre est l’un de ces romans qui vous donnent envie de crier, de vous lever. Marion Brunet signe un roman plus politique que Frangine ou La gueule du loup, servie par une histoire intelligente.

Dans le désordre, c’est l’histoire un peu folle de sept amis qui décident de se réunir dans un squat après s’être rencontrés dans une manifestation à Paris. Les liens se forment rapidement, et très vite ils ne se lâchent plus. Tout d’abord il y a Jeanne. Jeanne la campagnarde, étudiante depuis peu en fac de lettres à Paris. Calme, raisonnée, rien ne la prédestinait à intégrer le squat. Mais lorsqu’elle croise le regard de Basile lors d’une manifestation, celui-ci l’électrise. Une charge de policiers, et elle le perd. Alison, elle se fait renverser par les flics lors de leur charge. Par chance, avec l’aide de Tonio et de Jeanne, elle réussit à s’extirper de la foule. Elle est étudiante en Histoire de l’Art, et comme Jeanne, elle vit dans une chambre universitaire minuscule. Alors, Jeanne et elle décident de rejoindre les garçons. Par goût de l’aventure, ou par réel ras-le bol. Les garçons, Basile, Marc et Tonio. Ils se connaissent depuis longtemps. Ce n’est pas leur première manif, ni leur première confrontation avec les forces de police. Marc, c’est un peu le leader, le vrai syndicaliste. Depuis longtemps engagé dans la Lutte, il est le plus vieux, et aussi le plus révolté. Le premier pour faire des discours enflammés, et conduire des actions de terrain. Tonio, il est comme Marc, sans âge. Il a connu les petits boulots mal payé, les maisons d’ouvriers entassés. Puis, un jour, il en a eu marre. Et il a dit stop. Ensuite il y Basile. Aérien, léger, Basile est l’un des meilleurs personnages du roman. Toujours à pour détendre l’atmosphère, pour, par une pirouette de langage, ou une vraie pirouette, désamorcer les tensions. Basile, il sait ne pas se prendre au sérieux. Il y croit à la cause qu’ils défendent, mais il sait qu’ils sont bien trop peu nombreux pour être efficaces.  Basile, ce qu’il aime, c’est prendre de la hauteur ? Alors il grimpe, et il s’élève. Et quand il n’escalade pas les immeubles pour les nettoyer, les murs pour les réparer, il lit pour s’élever mentalement. Il en a besoin. S’élever, avoir l’impression de voler, ressentir la vraie action du poids, la voilà la vraie came de Basile. Ce besoin, presque maladif, de grimper. Cette envie de se cultiver. Basile, c’est ce genre de personnages qui vous marquent par le bonheur et la joie qui se dégagent d’eux. Enfin, il y a Jules. Lui était à la manif avec sa copine Lucie. Quand la police a chargé, ils ont été séparés, et Jules s’est retrouvé en garde à vue avec Basile. Elle étudie le Droit, lui a arrêté ses études. Ils vivent dans un petit appart ensemble à Paris. Lorsqu’ils rencontrent les autres, Jules soumet l’idée de les rejoindre, de lâcher l’appart, ce qui permettrait à Lucie de ne plus dépendre de ses parents, ce dont elle rêve. Alors, elle accepte, et ils se retrouvent embarqués tous les deux dans ce squat. Que dire d’eux ? Jules est un garçon plutôt révolté au début du roman, mais il s’apaise au fil des pages. Il se trouve, et découvre quelque chose qui sommeillait en lui, qui ne demandait qu’à s’exprimer. Il trouvera sa voie et sa paix. Lucie, elle, est plus complexe. C’est plus par opposition à ses parents et par amour pour Jules qu’elle accepte. Elle nouera une amitié profonde avec Jeanne. Pleine de doutes, pleine d’incertitudes, elle saura s’engager et se battre, pour vivre pleinement la cause.

Vous remarquerez que j’ai consacré une longue partie de cette chronique aux portraits des personnages. Mais c’est parce que Dans le désordre, c’est ça. Des portraits de vies, sept vies, reliées par un engagement fort et une amitié profonde. Avant tout un groupe d’amis. Militants. Difficiles de parler de l’intrigue. En dire peu ne serait pas signifiant, en dire plus serait dommage. On peut juste préciser qu’une fois de plus Marion Brunet ancre son roman dans le réel, avec ce contre-sommet des altermondialistes. Pour autant, malgré cet ancrage, elle ne cite pas d’hommes politiques, ne dénonce pas une part précise du paysage politique. Non, ce roman est plutôt une plongée au cœur d’un mouvement antisystème.

Marion Brunet crée une meute. Unie, forte et fière, ses membres s’assemblent, comme s’ils n’attendaient que ça. Et ils se battent, tous ensemble, contre ce système injuste qui met dehors des gens qui n’ont plus rien, qui envoie la police dès que les gens protestent. Ils refusent une vie tracée par ce système, et s’en construise une autre, en marge. Une vie qui dérange, mais qui les libère. Une vie faite de vols, d’illégalité, de dangers, de protestations et de manifestations, d’arrestations parfois. Une vie pleine d’idéaux, de rêves, d’engagements, de poing levés et de bouche grande ouverte, pour scander leurs idées, et crier leurs valeurs. Un roman militant, sans aucun doute, engagé. Pour l’égalité, la liberté et la justice. Mais en trame de toute cette lutte, il y a autre chose. Il y a Basile et Jeanne, et leur amour. Immense, puissant. Un amour qui peut être autant magnifiquement constructif que sombrement dévastateur. Ils s’aiment tellement qu’il ne peut y avoir d’entre deux. Ils sont si beaux ensemble, virtuoses de la vie, tournant, rigolant, sautant, dansant, virevoltant entre les pages blanches d’une vie à écrire tant ils sont jeunes. Un amour pur, et total, qui sublime tout. Ils sont unis, indéfectibles, par l’amour des mots, l’amour de la liberté, de la pensée, et l’engagement profond et sincère. Chacun ne semble devenir complet que quand il est avec l’autre. Un amour puissant, et sincère, absolument magnifique.

La tension monte, subtilement, inlassablement, tout au long du roman. Les personnages jouent, rigolent, s’amusent et sourient, profitent de leur vie insouciante, faite de rêves et d’idéaux, d’espoirs et de volonté de changement. Puis, soudain, au détour d’une page, sans s’y attendre vraiment, tout s’écroule. Le château de cartes fragilement construit au fil des pages est balayé. La forteresse que s’étaient construite nos cinq protagonistes voit ses murailles s’effondrer, ses remparts s’écrouler. Cruellement, abruptement. Et maintenant, que faire ? Le système a-t-il gagné ? Est-ce vraiment une victoire ? Comment nous reconstruire ?

Enfin, comment ne pas évoquer l’écriture de Marion Brunet ? A l’image de Frangine ou de La gueule du loup, la plume écorche, égratigne, griffe. Mais elle est juste, précise, réaliste. Marion Brunet sait, une fois  de plus, nous toucher en plein cœur. Ce n’est pas dans ses romans que vous trouverez des envolées lyriques, ou de la poésie. Vous y trouverez plutôt une écriture directe, franche, juste. Je crois que c’est là le mot clé : juste. Au fil des romans, l’auteure a affuté sa plume. Aujourd’hui, elle se fait tranchante, mais sans charcuter. Marion Brunet entaille chirurgicalement des plaies déjà ouvertes, elle nous offre des pistes de réflexion. Attention, en disant que ce n’est pas poétique, je ne dis pas que c’est mal écrit. Bien au contraire. J’apprécie ce style d’écriture, très moderne, que l’on retrouve aussi dans les romans de Benoit Minville. Cash, sans détours.        Parfois un roman est beau par sa pudeur, par sa poésie, par le voile léger, le flou, la distance que permet de mettre l’écriture. Parfois un roman est beau, puissant, parce qu’il est sauvage, naturel. Parce que les personnages parlent de manière réaliste, parce que l’on trouve dans le roman des mots qui appartiennent au registre familier. Parce que ce roman dépeint la vie dans sa quotidienneté, dans la bataille qu’elle est en elle-même. Mais au lieu de regarder cette bataille d’en haut, Marion Brunet choisit de la traiter de l’intérieur à travers des vies écorchées, tailladées, marquées. Révoltées. Oui, si l’on nomme ordre la vie rangée et douce, ces vies sont bel et bien dans le désordre.

Alors, laissez-vous tenter par Dans le désordre, parce que c’est un roman puissant, avec des personnages complexes et écorchés, et dont l’univers est original et enrichissant.
Théo

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