dimanche 3 avril 2016
Et si on y retournait ?
Allez viens on y va ! Tu as bien dit qu’on était fous non ? Alors
viens, on y retourne ! On retourne dans ce pays sacré où l’imagination est
reine, dans ces temps précieux où la douceur est la seule valeur qui soit.
Allez, viens avec moi, je t’emmène en enfance.
Parce que moi, j’en peux plus. J’en
peux plus de ce monde fou, de ce monde qui tourne même plus, de ce monde qui
bouge plus. J’en ai marre de me lever, et de voir des masques. J’en ai marre de
sortir, et de chercher mes rêves dans ce quotidien morne et bien trop
pragmatique. De tout côté, ça crie, ça menace, ça hurle et ça proteste. Mes oreilles
n’entendent plus que ça : des cris. Pour protester, pour râler, pour
insulter. Comme si les gens avaient oublié que ce n’est pas en criant qu’on est
écouté. Comme s’ils avaient oublié que c’est en chuchotant, en parlant tout
bas, que l’on fait changer les choses. En murmurant, doucement, lentement,
souvent, et ensemble. Que le plus important, c’étaient les histoires que l’on
nous racontait, doucement, le soir, sur un coin d’oreiller. Les gens ont oublié
que ce sont ces murmures qui ont le plus compté, parce qu’ils disaient la joie,
le sourire, le soleil, la lumière, le bon. Alors viens, on y retourne, écouter
ces histoires millénaires, écouter la voix douce et suave de nos conteurs,
écouter sans rien dire, écouter. Écouter. C’est pourtant simple comme verbe non ?
Pourquoi ils n’y arrivent pas les gens ? Pourquoi ils n’y arrivent plus ?
Viens, on y retourne. On écoutera nous ! On écoutera les fées des champs,
on écoutera les arbres et le soleil, on écoutera le chant des oiseaux et les
voix des poissons, on écoutera les fleurs se raconter des histoires et l’océan
nous jouer sa symphonie. On écoutera la vie. Mais on n’écoutera pas, ni les
insultes ni les guerres, ni les violences ni les horreurs, ni les disputes ni
les blessures. Non, on vivra dans notre nuage, entourés de créatures
imaginaires, celles qui n’existent même pas. On aura des pouvoirs magiques :
on pourra voler, et tuer les méchants en claquant des doigts. On pourra
ressusciter les gens qu’auraient pas dû mourir. On sauvera le monde dix fois
par jour. On sera des héros. Mais pas des héros connus. Non, on sera nos
propres héros, et si on n’arrive pas à sauver le monde, on en construira un
autre avec nos superpouvoirs. Parce qu’on est des héros et puis c’est tout.
Allez viens, je veux y retourner.
Je te l’ai dit, j’en peux plus, j’en ai marre. J’en ai marre de porter un
masque, de jouer un rôle. Je veux être moi mais je peux pas. Mais je ne veux
pas. C’est bête hein, de demander à être soi, et de pas le vouloir. Alors je
vais être plus précis : je veux être moi, mais pas dans ce monde. Parce
que si je révèle au monde qui je suis, si je lui dis la vérité, si je lui
murmure doucement, si je fais tomber le masque, alors ce monde, il va me
hacher, il va me manger, comme le vilain monstre de nos histoires d’enfance. Et
je ne veux pas être mangé moi, je veux vivre. Libre, avec mes rêves, mes
idéaux, avec l’envie de croire que tout est possible. Si je fais tomber le
masque, je deviens vulnérable. C’est pas que j’ai peur d’être vulnérable, c’est
pas ça. Je veux bien être vulnérable, ça me gêne pas. Parce que je sais que j’aurais
des chevaliers prêts à me protéger. Des gens biens, qui m’aiment bien. Enfin je
pense que j’aurais des chevaliers. J’espère, parce que ça voudrait dire que
certaines personnes tiennent vraiment à moi. Si je veux pas être vulnérable, c’est
parce que les chevaliers seront pas assez nombreux tu vois. Ils ne pourront pas
contenir la haine, la violence, l’intolérance. Parce qu’en fait tu vois, dans
le monde des adultes, être différent, c’est une tare. La différence est un
fléau que l’on cherche à éradiquer. Alors, on va retourner en enfance toi et
moi, pour vérifier qu’on nous avait bien appris à accepter l’autre, à accepter
ceux qui sont différents, à aller voir plus loin que la différence. On ira vérifier
dans la cour de l’école qu’on est tous faits pareils : deux bras, deux
jambes, un cœur, et une tête. On rira ensemble, on jouera ensemble, dans cet
espace clos, éloigné du monde violent. Allez viens, on y retourne. Et si un
jour on revient, on leur montrera nos cahiers, on leur récitera nos poèmes qui
parlent de l’autre comme une force, on leur fera des additions, des
multiplications pour leur prouver que c’est ensemble qu’on est plus forts. Que
2, c’est plus que 1 et 1. On leur montrera que le monde est beau parce qu’il
est pluriel, parce que le verbe aimer se conjugue au pluriel, comme être. Oui,
être. C’est un auxiliaire être. Pourtant il est loin d’être auxiliaire, il est
même primordial. Être, c’est un verbe et c’est un nom. Être, ça s’écrit au
singulier et au pluriel, et ça a six formes différentes : je suis, tu es,
il est, nous sommes, vous êtes, ils sont. Donc, être, c’est multiple, c’est
ouvert. Et être, on en a besoin quand on veut composer. Je n’invente rien, c’est
de la conjugaison. On a besoin d’être, dans toute sa diversité, pour composer.
Du coup, on ne peut pas demander aux gens d’être au singulier non ? Ce
serait bizarre, pas logique, tu crois pas ?
Allez viens, on retourne en
enfance. Là-bas, y a pas de « pédés », y a pas de « gouines »,
de « salope », de « connard ». On retourne dans notre monde
de couleurs. Parce que le monde des adultes, il est gris, il est moche, il est
triste. Dans le monde des adultes, il y a des gens qui se font sauter pour tuer
d’autres personnes parce qu’ils ont mal compris un bouquin. On ne fait pas ça
en enfance, non, nous on relira le livre encore et encore, jusqu’à réussir à
déchiffrer les caractères, jusqu’à réussir à saisir les mots, à comprendre les
phrases, à entendre le message. On relira pour comprendre, on se fera pas sauter
c’est stupide. Dans le monde des
adultes, il y a des gens qui font du mal et qui s’excusent même pas, il y a
même des gens qui font du mal exprès. Alors, viens, on retourne en enfance,
parce que là-bas on fait mal sans faire exprès, et après on s‘en veut. Et cette
culpabilité, c’est une bonne culpabilité, parce qu’elle veut dire qu’on est
encore innocents, qu’on est maladroits, mais qu’on ne voulait pas faire du mal.
Ce qui veut dire qu’au moins, en enfance, on se respecte. On ne cherche pas à
écraser les autres, à prouver qu’on est meilleurs qu’eux en les humiliant. Non,
là-bas, on est meilleurs parce qu’on a gagné la course, qu’on a remporté la
partie. On n’est pas meilleur que les autres parce qu’on les rabaisse assez
pour les faire se plier en dessous de notre niveau. On n’est pas meilleur parce
qu’on a frappé si fort quelqu’un qu’il est par terre, physiquement ou
mentalement. On est meilleur parce qu’on a fait quelque chose de mieux, et on
est meilleur tout le temps, on est meilleur une fois ou deux. On n’a pas besoin
de diminuer les autres pour se donner l’illusion d’être puissant. On préfère
les vraies victoires quand on est enfant, parce que ce sont les seules qui ont
le vrai goût de la victoire, celles qui nous donnent des ailes, nous font
voyager.
J’en ai marre des promesses en l’air,
des mots qu’on crie pour être sûr que le monde entier les entende, j’en ai
marre de cette réalité pleine de faux-semblants, de ce monde plein de violence,
de haine. Alors, moi, je retourne en enfance. Je vais réapprendre à chuchoter
et à pardonner, je vais réapprendre la douceur et l’espoir. Je vais réapprendre
à rêver, et surtout à croire en mes rêves. Je ne dis pas que je ne veux pas
grandir, c’est chouette de grandir, il peut même t’arriver des trucs cool. Tu
rencontres des gens merveilleux, tu passes des moments supers avec eux, tu pars
une semaine entre l’océan et le soleil pour profiter un peu plus d’eux, tu l’embrasses
pour goûter à ses lèvres et son amour, tu laisses vivre ton amour, ton amitié.
Mais le problème, c’est que tu grandis dans un monde gris, terne. Que même si
la plus faible des lueurs perce l’obscurité, le vent sombre de l’actualité
souffle ta petite bougie. Que toi tu fais des projets, tu donnes ta confiance
et ton cœur même parfois, et les gens ils prennent tout ça. Et souvent, la
plupart du temps, ils s’amusent à tout briser. Ils te prennent pour un imbécile,
ils te mentent, ils te blessent, te tailladent, te déchirent. Ils rentrent dans
ta vie, s’arrangent pour que tu deviennes un satellite de leur planète, alors
ils t’exhibent, ils crient leur amour, ils t’éblouissent avec des promesses
jusqu’à ce que tu deviennes aveugle et sourd. Puis ils changent de trajectoire,
ils te percutent pour t’éjecter de leur orbite parce que tu t’approches un peu
trop. Souvent, c’est parce que tu es assez près pour voir derrière le masque,
pour voir ce qu’ils cachent au reste du monde Du coup, ils ont peur et ils t’envoient
te perdre dans l’univers. Toi, tu te retrouves seul, aveugle, sourd, au milieu
d’un monde trop grand, pour lequel tu penses que tu n’as pas les codes. Là tu t’en
veux. Tu t’en veux d’avoir oublié que ce qui compte ce ne sont ni les cris ni
les grands discours, mais les chuchotements. Ce que l’on se dit tard le soir,
dans le noir secret et paisible de la nuit, celle qui avant était le réceptacle
de tous nos cauchemars et qui est devenue l’écrin précieux dans lequel se
déposent les secrets les plus profonds. C’est aussi ça grandir, c’est pour ça
que c’est beau. Parce que tu évolues, parce que tu fais évoluer ton monde. Parce
que tu essaies de te servir des clés qu’on t’a données pour déverrouiller le
monde. Grandir c’est bien parce que tu peux sortir de l’école et aller explorer
le monde. Et si tu arrives à faire fi du sombre, du triste, de l’horreur et du
sang, tu y trouves de la lumière. Des instants de joie et de bonheur, des
instants fugaces mais précieux qui te marqueront pour toujours. Et le mieux, c’est
si tu arrives à trouver les belles personnes, les bonnes personnes. Celles qui
ne détruiront ni ton confiance, ni ton cœur, ni ta tête. Celles qui te
protégeront, qui te feront rire et qui t’écouteront. Qui sauront entendre les
mots chuchotés dans la nuit, qui sauront même entendre ce que tu ne dis pas, si
tu arrives à trouver tes chevaliers, et ton prince ou ta princesse, alors
grandir, ça peut même être super. Et quand tu as l’impression que ça ne va
plus, quand tu te sens flancher dans cette quête nécessaire, tu fais comme moi.
Tu dis stop. Tu te poses deux minutes, et tu écris, pour te libérer. Tu fais le
pari un peu fou de regarder tes rêves en face, et tu retrouves en toi la force
de croire en eux. De te battre pour eux. Et tu retournes en enfance, un peu, pour
retrouver des paysages connus et rassurants, des histoires pleines de rêves et
de lumière.
Alors moi c’est ce que je vais
faire. Je retourne en enfance. Promis, je reviens bientôt. Tu viens ?
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Très émouvant, Théo. Et très lucide. La vie est ainsi, c'est vrai. Mais comme tu le dis aussi, il y a notre monde intérieur, celui que nous ont murmuré les livres, dont ils nous ont imprégnés. Cela, personne ne peut nous le prendre, et on peut même le partager avec d'autres rêveurs-liseurs. Peu à peu, on parvient à organiser notre "vraie-vie" avec nos propres codes, ceux de notre monde intérieur. On souffre, certes, on s'adapte autant que possible, on fait quelques petits compromis pour subsister, mais au final on est nous-même, et on rencontre d'autres gens tout aussi "eux-mêmes" que nous. C'est cela qui compte, vois-tu... Courage, Théo ! Ton navire avancera à travers vie contre vents et tempêtes, parce que sa boussole, c'est ton cœur, ta conscience, et cette précieuse cargaison de rêves que t'ont offert les livres, des rêves plein tes cales pour te tenir chaud...
RépondreSupprimerJ'arrive...
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