Indignez-vous, criait Stéphane Hessel en 2012. Ce roman fait écho à
ce cri de révolte. Dans le désordre
est l’un de ces romans qui vous donnent envie de crier, de vous lever. Marion
Brunet signe un roman plus politique que Frangine ou La gueule du loup, servie par une histoire intelligente.
Dans le désordre, c’est l’histoire un peu folle de sept amis qui
décident de se réunir dans un squat après s’être rencontrés dans une
manifestation à Paris. Les liens se forment rapidement, et très vite ils ne se
lâchent plus. Tout d’abord il y a Jeanne. Jeanne la campagnarde, étudiante
depuis peu en fac de lettres à Paris. Calme, raisonnée, rien ne la prédestinait
à intégrer le squat. Mais lorsqu’elle croise le regard de Basile lors d’une
manifestation, celui-ci l’électrise. Une charge de policiers, et elle le perd. Alison,
elle se fait renverser par les flics lors de leur charge. Par chance, avec l’aide
de Tonio et de Jeanne, elle réussit à s’extirper de la foule. Elle est
étudiante en Histoire de l’Art, et comme Jeanne, elle vit dans une chambre
universitaire minuscule. Alors, Jeanne et elle décident de rejoindre les
garçons. Par goût de l’aventure, ou par réel ras-le bol. Les garçons, Basile, Marc
et Tonio. Ils se connaissent depuis longtemps. Ce n’est pas leur première
manif, ni leur première confrontation avec les forces de police. Marc, c’est un
peu le leader, le vrai syndicaliste. Depuis longtemps engagé dans la Lutte, il
est le plus vieux, et aussi le plus révolté. Le premier pour faire des discours
enflammés, et conduire des actions de terrain. Tonio, il est comme Marc, sans
âge. Il a connu les petits boulots mal payé, les maisons d’ouvriers entassés.
Puis, un jour, il en a eu marre. Et il a dit stop. Ensuite il y Basile. Aérien,
léger, Basile est l’un des meilleurs personnages du roman. Toujours à pour
détendre l’atmosphère, pour, par une pirouette de langage, ou une vraie
pirouette, désamorcer les tensions. Basile, il sait ne pas se prendre au
sérieux. Il y croit à la cause qu’ils défendent, mais il sait qu’ils sont bien
trop peu nombreux pour être efficaces. Basile,
ce qu’il aime, c’est prendre de la hauteur ? Alors il grimpe, et il
s’élève. Et quand il n’escalade pas les immeubles pour les nettoyer, les murs
pour les réparer, il lit pour s’élever mentalement. Il en a besoin. S’élever,
avoir l’impression de voler, ressentir la vraie action du poids, la voilà la
vraie came de Basile. Ce besoin, presque maladif, de grimper. Cette envie de se
cultiver. Basile, c’est ce genre de personnages qui vous marquent par le
bonheur et la joie qui se dégagent d’eux. Enfin, il y a Jules. Lui était à la
manif avec sa copine Lucie. Quand la police a chargé, ils ont été séparés, et
Jules s’est retrouvé en garde à vue avec Basile. Elle étudie le Droit, lui a
arrêté ses études. Ils vivent dans un petit appart ensemble à Paris. Lorsqu’ils
rencontrent les autres, Jules soumet l’idée de les rejoindre, de lâcher
l’appart, ce qui permettrait à Lucie de ne plus dépendre de ses parents, ce
dont elle rêve. Alors, elle accepte, et ils se retrouvent embarqués tous les
deux dans ce squat. Que dire d’eux ? Jules est un garçon plutôt révolté au
début du roman, mais il s’apaise au fil des pages. Il se trouve, et découvre
quelque chose qui sommeillait en lui, qui ne demandait qu’à s’exprimer. Il trouvera
sa voie et sa paix. Lucie, elle, est plus complexe. C’est plus par opposition à
ses parents et par amour pour Jules qu’elle accepte. Elle nouera une amitié
profonde avec Jeanne. Pleine de doutes, pleine d’incertitudes, elle saura
s’engager et se battre, pour vivre pleinement la cause.
Vous remarquerez que j’ai
consacré une longue partie de cette chronique aux portraits des personnages.
Mais c’est parce que Dans le désordre,
c’est ça. Des portraits de vies, sept vies, reliées par un engagement fort et
une amitié profonde. Avant tout un groupe d’amis. Militants. Difficiles de
parler de l’intrigue. En dire peu ne serait pas signifiant, en dire plus serait
dommage. On peut juste préciser qu’une fois de plus Marion Brunet ancre son
roman dans le réel, avec ce contre-sommet des altermondialistes. Pour autant,
malgré cet ancrage, elle ne cite pas d’hommes politiques, ne dénonce pas une
part précise du paysage politique. Non, ce roman est plutôt une plongée au cœur
d’un mouvement antisystème.
Marion Brunet crée une meute.
Unie, forte et fière, ses membres s’assemblent, comme s’ils n’attendaient que
ça. Et ils se battent, tous ensemble, contre ce système injuste qui met dehors
des gens qui n’ont plus rien, qui envoie la police dès que les gens protestent.
Ils refusent une vie tracée par ce système, et s’en construise une autre, en
marge. Une vie qui dérange, mais qui les libère. Une vie faite de vols, d’illégalité,
de dangers, de protestations et de manifestations, d’arrestations parfois. Une
vie pleine d’idéaux, de rêves, d’engagements, de poing levés et de bouche
grande ouverte, pour scander leurs idées, et crier leurs valeurs. Un roman
militant, sans aucun doute, engagé. Pour l’égalité, la liberté et la justice.
Mais en trame de toute cette lutte, il y a autre chose. Il y a Basile et
Jeanne, et leur amour. Immense, puissant. Un amour qui peut être autant
magnifiquement constructif que sombrement dévastateur. Ils s’aiment tellement
qu’il ne peut y avoir d’entre deux. Ils sont si beaux ensemble, virtuoses de la
vie, tournant, rigolant, sautant, dansant, virevoltant entre les pages blanches
d’une vie à écrire tant ils sont jeunes. Un amour pur, et total, qui sublime
tout. Ils sont unis, indéfectibles, par l’amour des mots, l’amour de la
liberté, de la pensée, et l’engagement profond et sincère. Chacun ne semble
devenir complet que quand il est avec l’autre. Un amour puissant, et sincère,
absolument magnifique.
La tension monte, subtilement,
inlassablement, tout au long du roman. Les personnages jouent, rigolent,
s’amusent et sourient, profitent de leur vie insouciante, faite de rêves et
d’idéaux, d’espoirs et de volonté de changement. Puis, soudain, au détour d’une
page, sans s’y attendre vraiment, tout s’écroule. Le château de cartes
fragilement construit au fil des pages est balayé. La forteresse que s’étaient
construite nos cinq protagonistes voit ses murailles s’effondrer, ses remparts
s’écrouler. Cruellement, abruptement. Et maintenant, que faire ? Le
système a-t-il gagné ? Est-ce vraiment une victoire ? Comment nous
reconstruire ?
Enfin, comment ne pas évoquer
l’écriture de Marion Brunet ? A l’image de Frangine ou de La gueule du
loup, la plume écorche, égratigne, griffe. Mais elle est juste, précise,
réaliste. Marion Brunet sait, une fois
de plus, nous toucher en plein cœur. Ce n’est pas dans ses romans que
vous trouverez des envolées lyriques, ou de la poésie. Vous y trouverez plutôt
une écriture directe, franche, juste. Je crois que c’est là le mot clé :
juste. Au fil des romans, l’auteure a affuté sa plume. Aujourd’hui, elle se
fait tranchante, mais sans charcuter. Marion Brunet entaille chirurgicalement
des plaies déjà ouvertes, elle nous offre des pistes de réflexion. Attention,
en disant que ce n’est pas poétique, je ne dis pas que c’est mal écrit. Bien au
contraire. J’apprécie ce style d’écriture, très moderne, que l’on retrouve
aussi dans les romans de Benoit Minville. Cash, sans détours. Parfois un roman est beau par sa pudeur,
par sa poésie, par le voile léger, le flou, la distance que permet de mettre
l’écriture. Parfois un roman est beau, puissant, parce qu’il est sauvage,
naturel. Parce que les personnages parlent de manière réaliste, parce que l’on
trouve dans le roman des mots qui appartiennent au registre familier. Parce que
ce roman dépeint la vie dans sa quotidienneté, dans la bataille qu’elle est en
elle-même. Mais au lieu de regarder cette bataille d’en haut, Marion Brunet choisit
de la traiter de l’intérieur à travers des vies écorchées, tailladées,
marquées. Révoltées. Oui, si l’on nomme ordre la vie rangée et douce, ces vies
sont bel et bien dans le désordre.
Alors, laissez-vous tenter par Dans le désordre, parce que c’est un
roman puissant, avec des personnages complexes et écorchés, et dont l’univers
est original et enrichissant.
Théo
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Salut !!
Merci de laisser une trace de votre passage, avec politesse, cela va de soi !!
Amicalement
Théo